La cohabitation avec un collègue ou un manager que vous haïssez provoque à la fois distraction et tension nerveuse. Complaintes incessantes, attitudes négatives, remarques gênantes et inappropriées, arrogance : autant d’attitudes qui, à la longue, perturbent votre bien-être et votre productivité au travail, détournent votre attention et votre énergie des tâches à accomplir. Vous finissez par passer la majorité de votre temps à essayer de contrôler vos émotions et à tenter de gérer le comportement de votre interlocuteur.

Il est heureusement possible en suivant quelques principes simples de développer une relation de travail efficace avec quelqu’un d’insupportable.

Une thématique universelle.

Sachez que si vous êtes contraint de travailler avec un collègue ou un manager que vous haïssez, vous n’êtes pas seul ! Le collègue détesté est un archétype familier. A tel point que la recherche universitaire se penche sur le sujet depuis déjà plusieurs années.

Robert Sutton, professeur d’ingénierie à l’Université de Stanford aux Etats-Unis a écrit deux ouvrages sur ce sujet, traduits en français: « Petit chef ou vrai patron ? » (Editions Vuibert) et « The No Asshole rule », poétiquement traduit en français sous le titre « Objectif Zéro-sale-con » (Editions Vuibert).

Daniel Goleman, auteur reconnu du best-seller « L’Intelligence Emotionnelle » (Editions J’ai lu) et directeur du consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations, de l’université de Rutgers aux Etats-Unis, étudie également de près cette thématique.

Chacun de nous est confronté quotidiennement à des personnes qui nous insupportent. Robert Sutton.

D’après Robert Sutton, cela fait partie de la condition humaine. Nous sommes confrontés quotidiennement à des personnes qui nous insupportent : que ce soit au sein de notre famille, dans le voisinage, les transports ou sur notre lieu de travail. S’il nous est possible par quelque ruse, d’éviter de croiser ces personnes dans nos vies personnelles, cela est plus délicat sur le lieu de travail. Il est donc indispensable de développer les bons réflexes afin de gérer au mieux la présence de collaborateurs insupportables.

Voici les 6 principes à respecter:

1. Maitrisez vos réactions

Celles-ci peuvent aller d’un léger inconfort jusqu’à une forte hostilité. La première étape consiste à gérer cette réaction. Pour cela, concentrez votre attention sur votre comportement, dont vous avez par définition le contrôle. Réfléchissez à votre réaction et non à la personne qui vous insupporte.

Par ailleurs, pour mieux gérer votre stress et reprendre le contrôle sur vos réactions, Daniel Goleman conseille de pratiquer la relaxation quotidiennement. Sa méthode est disponible (en anglais) sur ce site.

2. Gardez vos rancœurs pour vous

Sous le coup des émotions intenses générées par la présence d’une personne qui nous insupporte, il est tentant et bien souvent instinctif de vouloir s’en ouvrir aux personnes qui nous entourent. Dans cette situation nous cherchons en effet une confirmation de nos opinions (de type: « Nicolas est quelqu’un de spécial, tu ne trouves pas? »). Mais, explique Robert Sutton, il faut résister à cette tentation car elle présente deux risques majeurs.

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Tout d’abord, les émotions étant contagieuses, ce type de conversation peut créer une atmosphère négative dans tout un service.

Mais le risque principal est de ternir votre réputation. Vous risquez de devenir celui ou celle qui se plaint et qui crée des tensions au sein de votre équipe.

Faites donc l’effort de garder pour vous vos sentiments. Si jamais cela vous est trop difficile, choisissez soigneusement les personnes avec qui vous les partagez. Dans la mesure du possible, choisissez des personnes en dehors de votre cadre professionnel.

3. Evaluez avec honnêteté votre part de responsabilité dans la genèse de votre ressenti

Faites votre autocritiqueMaintenant que vos réactions sont sous contrôle et sont hors d’état de nuire à votre réputation dans l’entreprise, il est temps de se consacrer aux exercices qui vous permettront de diminuer l’intensité et même de modifier la nature des émotions générées par la présence de collaborateurs insupportables.

Robert Sutton suggère de procéder comme suit. Essayez d’identifier ce qui précisément vous insupporte chez l’autre. Quels sont les déclencheurs de cette émotion? Est-ce un comportement en particulier ? Est-ce lié à vos différences? Vous rappelle-t-il votre père? Enviez-vous son poste ou son statut vis-à-vis de votre supérieur hiérarchique?

Il est important de distinguer la part attribuable aux comportements et la part attribuable à ce qu’est l’autre en tant que personne, à quel point elle nous est différente. Ce distinguo est la clé pour avancer vers la résolution de ce problème relationnel. Cette démarche nécessite d’être honnête avec soi-même. Il est également utile de faire cet exercice avec toutes les personnes qui nous insupportent, dans le cadre professionnel et au-delà. Ainsi nous pourrons identifier des similitudes et mieux comprendre à quel point nous jouons un rôle dans la genèse de ce ressenti négatif, qui n’est pas l’unique responsabilité de l’autre.

4. Passez plus de temps avec eux

La meilleure manière d’apprécier une personne que vous détestez aujourd’hui est de travailler sur un projet qui requiert de la coordination entre vous, suggère Sutton. Cela va à l’encontre de notre instinct qui nous commande d’éviter au maximum la personne.

En travaillant ensemble, l’irritation peut laisser place à plus d’empathie, de compréhension des ressorts de la personne, de son contexte familial, son rapport à son travail et à son manager, voire son histoire personnelle. Peut-être découvrirez-vous qu’il essaie en fait de conjurer son comportement sans y parvenir.

5. Essayez de vous ouvrir à eux et de « mettre les choses à plat »

Si l’application de chacun des principes listés ci-dessus n’a pas suffi à apaiser la relation, il est temps d’envisager la possibilité de vous ouvrir à la personne en lui donnant du « feedback » sur ce qui vous irrite dans son comportement. Dans le meilleur des cas, elle accueillera ce feedback comme une aide pour mûrir. « N’imaginez pas que chacun soit conscient de la manière dont leur comportement est ressenti par les autres », dit Robert Sutton.

Evitez surtout de vous lancer dans une critique trop exhaustive de tout ce qui vous irrite. Commencez par exprimer une critique constructive axée sur les comportements sur lesquels la personne peut agir.

Mais soyez prudents. Ce type d’échanges requiert beaucoup de tact et d’intuition pour communiquer sans braquer l’autre. Si vous sentez la personne ouverte à une conversation adulte et polie, alors continuez doucement vers les points importants. Essayez de créer de l’empathie en expliquant en quoi ils vous affectent, et affectent votre capacité à travailler ensemble.

En revanche, si vous sentez que la personne pourrait le prendre d’une manière trop personnelle et que cela pourrait générer un conflit, ne prenez pas le risque. Cela pourrait mener à une « escalade » vers votre supérieur hiérarchique ou le reste de l’équipe et il est préférable d’éviter cela.

6. Adoptez un sain détachement émotionnel

Ainsi, lorsque vous vous trouvez coincés, dans l’impossibilité de vous ouvrir au collaborateur qui vous insupporte, Robert Sutton recommande de pratiquer l’art subtil du détachement émotionnel. La démarche consiste à neutraliser l’affect lié à l’autre en ignorant les comportements irritants. Il faut donc trouver un substitut sur lequel l’esprit puisse se concentrer quand ces comportements interviennent. Daniel Goleman explique : « En ignorant les comportements irritants, vous neutralisez les effets qu’ils peuvent avoir sur vous. Si la personne est pénible, mais que vous ne ressentez pas la peine, alors le problème disparait ». Ce type de solution est adapté lorsque vous n’avez aucun contrôle possible sur l’environnement.

Je hais mon collègue, que faire ?

Deux cas concrets illustrent l’efficacité de l’application de ces principes

Cas n°1 : Essayer de mieux le connaitre (illustration du point 4)

Le contexte : Bruno West, directeur technique d’une société de technologie, était, dans le cadre d’une intégration post-fusion, responsable d’une équipe composée de membres des deux entreprises fusionnées. « L’atmosphère était pesante. De plus, les délais étaient serrés et les journées de travail interminables. » Le comportement d’Harry, directeur financier d’une des deux sociétés, était particulièrement problématique.

Remarques narquoises, rhétorique péjorative et rétention d’informations critiques : telle était sa ligne de conduite. Harry était frustré par Bruno mais tentait de ne rien laisser paraitre. « Je me pose toujours la question : ai-je un vrai problème avec cette personne ou bien est-ce que son vécu et son expérience la font aborder les problèmes d’une manière très différente de la mienne ? ».

La solution : Bruno savait qu’il avait besoin de l’engagement d’Harry pour réussir dans sa mission, qu’Harry l’apprécie ou non. Il a donc passé du temps avec les anciens collègues d’Harry pour mieux cerner les qualités qu’on lui reconnait et sa carrière dans l’organisation. Puis a invité Harry à diner et à parler de ses années dans la société. Harry a souligné sa fierté du travail accompli avec ses équipes, des longues soirées de travail en commun, de célébration de leur réussite commune. Ainsi Bruno a mieux compris le parcours de Harry et ce qui comptait pour lui.

Bruno a ensuite utilisé ces éléments durant les réunions de travail, faisant habilement le lien entre projets passés menés par Harry et enjeux du projet actuel. Le comportement d’Harry a alors totalement changé. Il a pu exposer aux nouveaux membres de l’entreprise ses accomplissements passés et les bonnes pratiques qu’il y a appris, s’est senti revalorisé et est devenu un élément moteur du projet dès lors que l’on sollicitait son opinion et reconnaissait la valeur de ses réussites passées. Harry a fini par quitter l’entreprise mais les deux hommes se sont séparés en bons termes.

Cas n°2 : Bien mettre en perspective la situation (illustration des points 2,3 et 6)

Le contexte : De retour d’une mission à Kandahar, Alex Vanier, officier logistique au sein de l’armée canadienne, fût assigné au service de maintenance dirigé par le major Newton. Alex a rapidement constaté que le major était très froid, prompt à la critique et se déchargeait souvent des taches ingrates auprès de lui. Il ne s’occupait pas de la formation de ses équipes et semblait davantage préoccupé de ses propres intérêts. Il n’était pas rare qu’il s’approprie auprès de sa hiérarchie le travail de ses officiers.

Je n’aimais pas du tout travailler avec lui. Son arrogance et son mépris étaient insupportables.

La solution : Alex a ensuite constaté qu’il se comportait ainsi avec tous les officiers, et a commencé à regarder ses défauts, en se détachant de tout affect personnel. Il s’est ensuite ouvert de la situation auprès d’amis hors de la base militaire. Il a même songé à aller voir le chef d’unité pour lui faire part de la situation. Mais s’est ravisé. « Je ne voulais pas être assimilé à celui qui se plaint et dégrade l’ambiance. Et je n’étais pas du tout certain qu’en parler à la hiérarchie changerait quoi que ce soit ». Les missions dans l’armée étant souvent courtes, Alex a décidé de prendre son mal en patience. La major a finalement été muté vers un autre poste et Alex lui a succédé pour quatre mois.

Il parle aujourd’hui de cette expérience comme d’un soulagement et d’une fierté car ses officiers lui ont à de multiples reprises signifié à quel point il faisait un travail de bien meilleure qualité que le major Newton.

Au bout du compte, Alex n’en veut pas au major Newton. Il considère que cette expérience lui a permis de développer une meilleure compréhension de lui-même. Il a acquis l’habitude de se mettre à la place de ses subordonnés et de s’interroger sur le bien-fondé de son style de management. Tout cela grâce à une relation irritante bien gérée.

Source : Harvard Business Review
Par Amy Gallo. Amy Gallo contribue régulièrement à la Harvard Business Review. Vous pouvez la suivre sur Twitter à @amyegallo